Plus gros vainqueur belge des derniers WSOP où il aura été auteur de deux tables finales dont une 2è place, Thomas Boivin revient pour nous sur ces derniers mois, son parcours et sa philosophie de vie.
Aéroport de Bruxelles, le 15 août dernier. Après trois mois et demi de vadrouille, du Costa Rica (où ils ont joué les SCOOP et passé du bon temps) à l'ouest américain en passant par les WSOP, Thomas Boivin et Michael Gathy atterrissent dans la capitale. La maman du dernier bracelet belge est venue les accueillir et nous lance tout de go, sourire aux lèvres : « Ça y est, c'est Thomas la star, maintenant ? » Michael Gathy nous explique en riant qu'aux dernières nouvelles, elle annonçait à qui voulait l'entendre, y compris aux caissiers des grandes surfaces, que son fils était champion du monde de poker.
C'est donc en toute décontraction que nous partons à la découverte de Thomas Boivin aujourd'hui, une sorte d'ovni passé de 75 000 à 1 100 000 dollars de gains en live en l'espace de 14 mois.
Thomas, ton premier exploit de cet été 2017, c'est d'avoir décollé pour le Costa Rica sans le moindre bagage et d'y être arrivé avec toutes tes affaires...
En effet, l'anecdote est longue mais je te la fais version courte : Vu que Michael, Terry (Schumacher, ndlr) et moi partions pour plus de trois mois, je m'en suis collé une énorme la veille de notre vol, avec mes potes. Sauf qu'à 6h du matin, alors que je devais quitter la soirée pour rejoindre l'aéroport, j'ai compris que le pote qui devait me conduire était encore plus déchiré que moi. Ce qui n'est pas une mince affaire puisque j'en étais déjà au point d'avoir perdu mon téléphone et mes clés dans l'aventure.Un voyage mouvementé.
Je réveille donc mes sœurs en catastrophe et on passe chez moi pour récupérer mes valises sauf que je les vois de l'autre côté de la baie vitrée et que je n'ai pas mes clés, ni le moindre coloc' pour m'ouvrir.
Bref, dans mon état d'ébriété je décide que partir sans la moindre valise, avec simplement mon passeport, n'est pas si grave. Je n'avais même pas une tablette pour jouer les SCOOP...
Le plan a tout de même fonctionné à merveille puisque j'ai dormi comme un bébé durant tout le vol et qu'à notre arrivée, Terry m'a vite rassuré quand j'ai commencé à paniquer : « T'inquiète, Michael a justement raté l'avion, il arrive demain avec tous tes bagages ». Le séjour commençait bien !
Petit flash back : Peux-tu nous raconter comment tu en es venu au poker ? Et depuis quand le pratiques-tu à temps plein ?
J’ai commencé entre amis… au poker menteur.
Un jour, mon meilleur pote m’a suggéré d’essayer le vrai poker et je me souviens de ma première réaction : « ça a l’air nul, avec des dés c’est bien plus marrant ». Mais finalement on a essayé en mode freeroll sur Internet, puis on a rejoint un club dans la région de Charleroi… en mentant sur notre âge, car je n’avais que 16 ans à l’époque.
J’ai gagné mon tout premier tournoi chez eux, par chance pure évidemment, et j’ai pensé que c’était facile.
Une fois arrivé à l’université, je me suis mis au online de manière un peu plus régulière, essentiellement en sit&go car c’est ce qui me permettait au mieux de conjuguer le poker avec les études, la copine, les guindailles, etc.
"Ma famille a toujours été derrière moi."
A quel moment c'est devenu sérieux ?
A la fin de mes études, je savais que je voulais tenter ma chance au poker. J’ai donc décidé de partir à Malte avec ma copine de l'époque. J’ai alors écrit un petit fascicule de 17 pages destiné à ma famille, qui est assez grande. J’y expliquais ce qu’était le poker tel que je le voyais, et pourquoi je voulais partir à Malte. Et la conclusion était que quoi qu’il arrive, ma décision était prise mais que je préférais le faire avec leur soutien que sans.
Mais ma famille proche, mon père et ma sœur, ont toujours été derrière moi et m’ont encouragé même avant que j’écrive ces lignes. Mon père est comédien et donc il savait ce que c’était d’annoncer à ses parents qu’on voulait tout planter pour tenter sa chance dans un domaine qui sort de l’ordinaire.
Tu te souviens de ton premier gain significatif ?
Oui, c’était une table finale à Dublin où j’ai pris 8 000€, en 2012. Pour moi, c’était vraiment bien à l’époque. J’ai pu grinder de plus en plus les sit&go sur Pokerstars et financer un coaching.
Comment tu as fait cette démarche, toi qui ne connaissais pas le milieu à la base ?
A l’époque, aucun profil Sharkscope n’était bloqué donc je pouvais aller voir facilement ceux qui gagnaient des tonnes.
J’ai donc contacté un Norvégien qui était au-dessus du lot à ce moment-là. Je pense qu’il demandait 100 dollars de l’heure. C’était cher mais je m’en foutais, je voulais voir ce que ça donnait, et j’ai pris 10 heures avec lui.
Il a changé ma vision du poker online : j'ai appris à apprendre, grâce à lui.
On peut dire que pour toi, il y a eu un avant et un après le 6 juin 2016... Tu es surtout connu sur le circuit depuis cette victoire au Venetian l'année dernière, en plein durant les WSOP, pour 352 000 dollars de gains.
C’était ma plus grosse perf de loin à l’époque. Et pour tout te dire, je n’étais pas dans une grande forme financière à ce moment-là car je sortais d'un gros downswing online. Je me faisais stacker et ma bankroll était loin des six chiffres.Lors de sa victoire dans un tournoi des Aussie Millions, avec la chemise magique.
Ce gain m’a surtout permis de jouer un maximum de tournois en live, ce qui coûte tout de même assez cher. J’ai pu encaisser la variance plus facilement et vivre ma passion plus pleinement.
Dans la foulée, tu confirmes avec ta 2e meilleure perf : la bulle de la table finale du 6-max à 5 000 $, qui réunissait quand même une série de ténors du circuit. Avec cette fois 55 000 dollars de gagnés.
Oui, c’était une belle confirmation de mon niveau et de ma performance du Venetian. Cela dit, je n’avais pas acquis ce niveau tout à coup. Je m’étais mis aux tournois live intensivement depuis quelques mois, notamment grâce à Michael Gathy qui était devenu mon backer.
Début 2017, tu as brillé à nouveau en 6-max avec une belle victoire à 88 000 $ aux Aussie Millions.
C’est un format qui me plaît beaucoup. Pendant trois ans, à mes débuts, je n’ai joué que des sit&go 6-max. Donc je suis à l’aise dans ce format où l’avantage se multiplie puisqu’on joue plus de mains qu’en table pleine.
Et puis bien sûr, il y a eu ce Vegas 2017 avec deux tables finales WSOP où tu passes même très près du bracelet (2e d'un Shootout pour 160 000 $ et 3e du 5k pour 264 000 $)...
En effet, je passe tout près du bracelet mais j’aurais signé pour ces résultats avant de partir ! Le shootout est un format que j’adore, parce que ça me rappelle mon passé en sit&go. Et forcément, même si on commençait à 9 ou 10 par table, on se retrouvait rapidement en short-handed, ce qui me plaît.
"Le célibat a du positif."
Ce qui est drôle, c’est que j’ai été éliminé d’un tournoi au Venetian vingt minutes avant la fin de la période d'inscription tardive du shootout. Et comme il me tenait à cœur, j’ai pris le premier Uber qui passait pour me précipiter au Rio.
A trois minutes du « gong », le gars de l’inscription me dit que vu que c’est un shootout, je ne commencerai pas avec 7 500 jetons mais avec un tapis qui tourne depuis deux heures. Je calcule donc rapidement que je vais me retrouver avec 5 800 jetons environ, et que jouer ce tournoi n’est vraiment pas profitable. Mais bon, vu que j’adore ce format et que c’était un 1 500 dollars, je pouvais me permettre de gamble.
En rejoignant mon siège à table, je propose à Michael de prendre une action, en précisant que je commençais avec 5 800 jetons. Il a évidemment refusé, et il avait raison, mais au final j’ai multiplié mon buy-in par cent !
J'imagine que c'était la folie dans ton entourage en Belgique !
Mon papa avait beaucoup de boulot donc il ne pouvait pas faire des nuits blanches, mais on trouve toujours du soutien, comme la maman de Michael qui nous encourage tout le temps sur Facebook.
J’ai aussi un de mes potes d’enfance, qui est en fait devenu mon banquier, et qui reste éveillé toute la nuit pour me suivre. Bon, c’est vrai que ça fait un peu cliché d’avoir son banquier comme supporter n°1 quand tu joues au poker mais c’est comme ça (rires).
Peux-tu nous dévoiler le secret de ton explosion sur le circuit en évitant les clichés traditionnels ?
Peu après mon Vegas 2016 je me suis séparé de ma copine. J’avais donc un peu plus de temps pour jouer, me remettre au sport et soigner mon hygiène de vie. Jonathan Roy, un joueur canadien, m’avait dit à l'époque que le célibat était la meilleure chose qui lui soit arrivée : il avait pris 1,7 million en 6 mois après avoir rompu. Finalement, j’ai connu un peu le même effet…
"Peut-être que je fais des jaloux, mais j'encourage les gens à réaliser leurs rêves."
Costa Rica, Australie, Sénégal, Thaïlande, deep runs dans les plus beaux tournois du monde... tu dois faire des jaloux !
Oui, je pense. Mais bon j’ai surtout plein d’amis qui me charrient quand je leur dis « non les gars, demain ce n’est pas possible, je bosse ». Et j’utilise le terme « bosser » pour les provoquer.
Quand j’ai l’occasion de dire à des personnes de mon entourage qu’il faut se faire confiance et ne pas simplement faire ce que la société attend de toi, je les encourage à réaliser leurs rêves et à tenter leur chance. Jean-Claude Van Damme avait créé le buzz avec le terme « aware », mais avoir conscience que ta vie c’est toi qui la crées, c’est important.
Et cette philosophie, tu la tiens donc de ton père qui t’as encouragé à suivre ta voie…
Oui, mon père c’est un pilier depuis toujours. Avant de refuser des offres d’emploi dans l’ingénierie pour tout planter et aller à Malte, je me suis quand même remis en question. Et quand ton père te dit : « Fonce fiston, tu vas cartonner, c’est évident », ça aide.
Tu penses que ton diplôme d'ingénieur te servira un jour ?
Non. J’ai pris beaucoup trop goût à la liberté. Si je devais quitter le poker aujourd’hui, j’ouvrirais un bar belge quelque part dans le monde. L’idée serait d’avoir un projet créé de toute pièce qui serait un peu mon bébé. Et vu que je sais de manière rationnelle que les bières belges sont les meilleures, autant les faire découvrir au monde…
Bon maintenant tu dois nous raconter cette histoire de disco shirt...
Ah, tu y viens enfin ! Au début, c'était la dragon shirt : une chemise verte, qui à la base vient de mon groupe de potes. On était en vacances en Italie et la chemise était portée chaque jour par celui qui avait été le plus sage de la bande la veille au soir.
Déjà, il avait l'air ridicule parce que la chemise était horrible, mais en plus, il avait pour obligation de ne refuser aucun verre qu'on lui proposait durant toute la journée.
Puis, en 2016 je l'ai apportée à Vegas et elle est devenue la chemise des tables finales avec Terry et Michael. Bon je ne l'avais pas en TF du Venetian parce que Michael était en TF d'un tournoi WSOP au même moment.
Malheureusement, quelques semaines plus tard, la dragon shirt est décédée dans les festivités post-WSOP. Mais en novembre, alors qu'on supportait Kenny Hallaert en table finale du Main Event, on fête Halloween à Vegas et on trouve une tenue disco ridicule dans un magasin.
On a cartonné toute la soirée avec ce déguisement et donc la dragon shirt est devenue la disco shirt, d'autant plus qu'elle nous a bien aidé dans un WSOP Circuit à Lake Tahoe où on était tous les trois en demi-finale, puis aux Aussie Millions où on a fait deux victoires et une 5è place.
Si un jour j'ai la chance de gagner un bracelet, il y aura cette chemise dégueulasse à côté de ma gueule dégueulasse sur la photo...