Daniel Negreanu a participé à une session de Question - Réponses pour PokerStars à l'occasion du dernier PCA. L'occasion d'en savoir plus sur le mental et la préparation psychologique de l'un des meilleurs joueurs du monde.
Comment un champion de la trempe de Daniel Negreanu approche t-il l’aspect mental du poker ?
De nombreux joueurs de poker rêveraient bien sûr d'être dans la tête du Canadien et savoir comment il fonctionne.
C'est en partie ce qu'ont pu faire les personnes ayant assisté à la session de questions-réponses organisée par PokerStars dans le cadre du PokerStars Caribbean Adventure aux Bahamas. Les intervenants ont ainsi pu tenter de percer les secrets de l'homme aux 6 bracelets.
Visiblement enthousiaste à l'idée de se prêter à l'exercice, Daniel Negreanu aura ainsi répondu sur plusieurs sujets et donné de précieuses indications sur comment bien se préparer. Car si vous ne le faites pas, vous vous "sabotez".
Voici le retranscription de son intervention.
Quelle est votre intention ?
Daniel Negreanu : L’une des choses les plus importantes avant de vous assoir et de jouer un tournoi, est d’être clair à propos de ce que vous voulez accomplir.
Pour certaines personnes c’est de rentrer dans l’argent, pour d’autres c’est de gagner. Aussi vous devez décider, et voir ensuite si vos actions correspondent à ce que vous cherchez à accomplir.
C’est quelque chose d'important car si vous ne connaissez pas la destination vers laquelle vous allez, vous partez sur de mauvaises bases.
Il y a 10 ans, lorsque je développais ces idées et que je disais que j’allais gagner, je ne faisais pas ce qu’il fallait pour tendre vers ce but : boire jusqu’à 5 heures du matin, dormir 5 heures, arriver en retard...
Donc mes intentions étaient en décalage avec mes actions.
Quand vous êtes dans une main ou que vous vous préparez, vous devez vous focaliser sur votre but final.
Un premier exemple : Si vous participez à un grand tournoi dont la table finale est le 14 mais que vous avez réservé votre vol retour pour le 13, vous vous sabotez déjà.
J’aime aussi visualiser les choses. C’est pour ça que je prépare en avance une belle tenue pour la finale, parce que j’ai envie d’y être smart.
Avoir des objectifs
Je suis végétarien, et par le passé quand j’allais sur certains tournois, je rentrais en tilt car il n’y avait pas moyen de trouver à manger et j’étais affamé. Et il y avait aussi le jetlag.
Donc encore une fois cela ne cadrait pas avec mon objectif de gagner le tournoi.
Ensuite ce que j’aime c’est de toujours me fixer des objectifs, je l’ai fait durant toute ma vie. Et le piège est de ne pas être attaché aux résultats.
Tous les ans en janvier, j’inscrits 10 objectifs poker. Et les gens se moquent parfois de moi. Par exemple cette année j’ai dit que je voulais gagner 3 bracelets des WSOP.
Je ne miserai pas 1 million de dollars sur le fait que j’y arrive, mais c’est ce que je veux accomplir, et je pense que je peux le faire.
Après si ça n’arrive pas, est-ce que je serai déçu ? Pas réellement. Si j’en ai déjà 2 ou même 1, ça sera déjà bien.
Un exemple. Prenons deux femmes qui veulent faire un régime et qui se fixent en janvier de perdre 5 kilos pour l’une et 20 kilos pour l’autre.
Un mois plus tard, la première a perdu 5 kilos, et le seconde 15. Où est l’échec ? C’est une histoire de perception. Les deux ont réussi, cependant en limitant vos objectifs vous pouvez vous contenter de moins. C’est pour ça que j’ai tendance à me fixer des objectifs toujours accessibles mais un peu plus élevés.
Comment déterminer ce qui est atteignable ou pas ?
A propos des bracelets, seuls 4 joueurs ont déjà gagné trois bracelets en une année (Phil Hellmuth, Ted Forrest, Jeff Lisandro, George Danzer). Ca prouve que c’est faisable !
Mais ceci dit je n’ai pas besoin de preuves.
A propos de cet objectif, j’ai déjà gagné 2 bracelets la même année, donc la prochaine étape est naturellement 3.
Pour pouvoir sentir le goût de l’objectif, il doit être réaliste, progressif, en se basant sur les succès passés.
Ensuite, une fois que je suis en jeu, je me détache de mes objectifs.
Je vais participer à peut-être 35 tournois des World Series cet été, et dans chacun mon intention est de gagner.
L’intention est différente de l’objectif global. Ici l’objectif dans un tournoi, une partie du plan, peut être de vouloir bien jouer, conservateur, agressif. C’est le véhicule, et il y a toujours différents chemins pour parvenir à votre objectif.
Etablir un plan
Il y a quelque temps je voulais revenir dans le Top 15 du Global Poker Index (GPI). Or j’étais dans les 100 et quelques.
J’ai donc établi un plan sur 3 mois. Voilà ce que j’ai fait :
Regarder des vidéos, 2 heures par semaine, sur PokerStars TV. Les miennes, celles d’adversaires...
Le mardi soir, je discutais avec d’autres joueurs que j'estime, avec 3 ou 4 mains à débattre avec eux. Le vendredi et samedi je jouais ensuite deux sessions de 5 heures.
J’avais donc un plan hebdomadaire sur un mois.
Les outils existent et ils sont aujourd’hui totalement gratuits. Il y a aussi YouTube, les forums, les sites d’entraînement...
Si vous voulez devenir meilleur, gagner, cela demande forcément du travail.
Au bout du compte j’ai entraîné mon esprit, ce que je n’aurais peut-être pas fait si je n’avais pas établi un plan.
Encore une fois, on commence par les intentions, puis on regarde en arrière pour construire son plan.
Rester responsable de ses résultats
Vous avez sans doute déjà connu d’autres joueurs venant vous raconter leurs histoires de bad beats.
C’est quelque chose d’ennuyeux que personne ne veut entendre.
Deuxièmement, il n’y a aucune valeur. Aucune valeur à dire que vous êtes malchanceux. En quoi cela va-t-il vous aider ? Cela gâche votre énergie. Devenez meilleur.
Certaines personnes le font pour plusieurs raisons : besoin d’attention, de sympathie, de pitié... Ca leur permet aussi de ne pas se sentir responsable : ce n’est pas de leur faute !
Idem, certains blâmeront le croupier. C’est confortable !
Vous ne pouvez pas contrôler la chance. Mais vous pouvez contrôler comment vous y réagissez, et ce que vous choisissez d’en faire.
J’aime analyser a posteriori ces mains où par exemple je n’étais pas sûr de quoi faire. Mais si je perds avec les AA contre QQ, où est l’intérêt d’analyser ça ?
Se dire qu’on est malchanceux, c’est aussi se saboter. Si vous y croyez, vous le serez. C’est la manière dont vous vous voyez. Et vous vous empêcher d’aller vers d’autres opportunités.
Contre un joueur qui pense être le plus malchanceux du monde tel que Mike Matusow, si la couleur rentre à la river, je vais miser, car pour lui bien sûr que j’ai trouvé ma couleur ! Il se dit : « A chaque fois que je floppe brelan, quelqu’un va trouver sa couleur. » Il ne pense plus du tout aux fondamentaux de la main.
Cela a donc un impact majeur sur son processus de réflexion. Prenez-en avantage. Mais si vous jouez la victime, que vous vous construisez cette image, les autres en profiteront.
La personnalité au poker
L’un des aspects les plus importants pour être un joueur de poker gagnant de poker est de comprendre une chose : « qu’est-ce que les autres pensent de moi. »
Vous pouvez voir comment les autres jouent, mais vous devez savoir comment ils vous perçoivent.
Cela vous permet de vous adapter et de savoir comment ils vont réagir.
C’est important d’en être conscient. C’est aussi important que de lire quelqu’un.
Comment mieux s’évaluer ?
Ne pas s’occuper de voir ou chercher à savoir si on a été chanceux ou malchanceux lors de tel jour ou telle partie.
Encore une fois c’est une perte de temps et qui n’apporte rien. La version responsable est d’étudier les mains où vous n’étiez pas sûr, ou que vous pensez avoir mal jouées.
Concernant la prise de notes tout dépend de l’individu. Si vous n’étiez pas du genre à prendre des notes à l’école, alors il est probable que ça ne soit pas efficace pour vous.
Personnellement j’utilise ma tablette plutôt pour noter des choses à propos des tells que je repère chez chaque joueur. Comme je les ai par ordre alphabétique, une fois que je les ai de nouveau à ma table, je peux repasser en revue ce que j’ai remarqué chez eux.
Mais lorsque vous prenez des notes sur vos mains, vous pourrez remarquer des schémas que vous reproduisez et qui peuvent être des failles.
Dans tous les cas je recommande d’avoir un cercle d’amis en qui vous avez confiance, des joueurs que vous respectez, ou sinon sur des forums, pour parler de vos mains.
Cela vous permet aussi d’avoir d’autres visions des choses. Les autres peuvent voir des choses que vous ne voyez pas. C’est d’un immense apport.